Elles excellent dans leur savoir-faire, le perpétuent, le transmettent... En France, environ 20 % des artisans sont des arti- sanes. Des virtuoses du fait main que les magazines ELLE, ELLE Décoration et ELLE à Table ont décidé de mettre en lumière en créant, en 2021, le Prix des Artisanes, avec le soutien du groupe LVMH. Une véritable ode à l’excellence, visant à récompenser de jeunes talents des métiers de la mode, du design, du vin et de la sauvegarde du patrimoine français. Cette année, la lauréate de ce prix, catégorie Métiers de la mode, s’appelle Cécile Gray. 

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©Presse

Une technique incroyable

Ce pseudonyme, qui reprend les lettres de son vrai nom (Gayraud), est un clin d’œil à deux icônes de la création au féminin : Madame Grès (1903-1993), éminente sculptrice de drapés haute couture, et Eileen Gray (1878-1976), pionnière du design et éprise d’artisanat d’art. « J’ai adopté ce nom à une époque où j’étais architecte, explique Cécile. En parallèle de mes chantiers, je tenais un blog sur le textile et je voulais que mes deux activités restent parfaitement dissociées. » Car, comme de nombreux artisans, Cécile Gray a d’abord eu une autre vie. De ses huit années en agence d’architecture, elle garde le sens des volumes et des proportions, l’obsession de la structure, la rigueur mathématique... Le souvenir un peu frustrant, aussi, de passer ses journées devant un écran d’ordinateur plutôt que d’avoir les mains dans la matière. En 2017, elle s’accorde une parenthèse de quelques mois pour se former à la création textile à l’Atelier Chardon Savard, à Paris. Ses explorations sont inspirées par ce qu’elle connaît le mieux : le bois, le béton et le métal, matériau dont le potentiel lui paraît quasi illimité. Au fil des semaines, elle développe une technique de maillage qui se rapproche de la bijouterie : elle entrecroise des centaines de fils câblés d’une finesse inouïe et les maintient ensemble à l’aide de petites pièces métalliques évoquant un serti. Cécile Gray parle de « tissage par sertissage ». Une méthode qui demande une minutie et une patience infinies : tout est réalisé à la main, avec une pince, au prix de longues, très longues heures de concentration.

Transmettre le savoir-faire 

Après avoir conçu une première mini-collection de prêt-à-porter (un mélange de vêtements sombres et de pièces en métal, baptisé « Pourquoi les architectes s’habillent-ils en noir ? »), elle est sélectionnée, en 2018, dans la catégorie Accessoires du festival international de Hyères. Elle s’y distingue grâce à sept bijoux en maille métallique qui épousent le corps avec la délicatesse d’un souffle. Des vêtements-bijoux, pour ainsi dire. Par le jeu des changements d’échelle, des boucles d’oreilles s’étirent sur une longueur vertigineuse, un collier devient une sorte de plastron en lévitation, un bracelet se mue en une manche pleine de poésie... In fine, la parure recouvre le corps tout entier. Voilà le Prix du public remporté.

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© Jean-Philippe Lebée

Désormais, Cécile Gray transmet son savoir-faire. Elle forme, dans son atelier parisien, des apprentis venus de divers horizons : des brodeurs d’art, des créateurs de mode, des designers... De son côté, elle s’est aussi initiée au travail du cuir et de la céramique. « J’aime l’idée de réunir des gens dont l’approche est fondamentalement différente, c’est ce qui permet de croiser les expertises, d’enrichir encore davantage les techniques », dit-elle. Aujourd’hui, de plus en plus de grandes maisons font appel à elle, certaines pour la création de pièces uniques en maille de métal, d’autres pour son approche transversale, joliment inhabituelle, de l’ornementation. « La maille métallique telle que je la propose offre en elle-même énormément de possibilités, poursuit-elle. Et on ne cesse d’explorer de nouvelles pistes, de nouvelles façons de l’aborder... À terme, le but est de devenir un atelier de création textile spécialisé dans le travail du métal. » À l’heure du métavers, des défilés online et des boutiques digitales immersives, Cécile Gray accorde plus de valeur que jamais au travail de la main et au dialogue concret avec la matière. « Ce qui m’attire le plus dans le luxe, ce qui me touche, c’est le savoir-faire artisanal, l’excellence, la patience, le temps long... Il me semble que c’est de là que naît véritablement l’émotion. C’est une belle image, je trouve, que de voir la main de l’artisan comme l’intermédiaire de cette émotion... »